La prédiction des évolutions microstructurale durant les traitements thermomécaniques constitue un enjeu majeur en science des matériaux, car la microstructure finale détermine les propriétés mécaniques et fonctionnelles des alliages métalliques. La simulation numérique est devenue un outil essentiel pour étudier ces transformations, permettant de prévoir la croissance des grains, la recristallisation, les transformations de phase et l’influence des particules de seconde phase sous diverses conditions de traitement. Au cours des dernières décennies, un large éventail d’approches de modélisation ont émergé, allant des formulations phénoménologiques aux approches en champ moyen et en champ complet1–3, chacune ayant ses avantages et ses limites spécifiques.
Une distinction majeure entre ces familles de modèles réside dans les compromis faits entre fidélité physique et coûts de calculs. Tandis que les approches phénoménologiques fournissent des descriptions grossières mais très rapides des changements microstructuraux, d’autres, comme les modèles en champ complet, résolvent les caractéristiques microstructurales avec une grande fidélité, mais au prix d’importantes ressources de calcul. Les approches en champ moyen proposent un compromis intéressant en combinant pertinence physique et efficacité computationnelle. Cet équilibre influence directement l’applicabilité d’un modèle, que ce soit pour des simulations de procédés industriels, des études à haut débit ou des investigations fondamentales. Dans ce contexte, comparer ces approches est essentiel pour évaluer leurs capacités prédictives et leur efficacité computationnelle. Une telle comparaison permet non seulement de clarifier leurs domaines d’application respectifs, mais aussi de mettre en évidence les défis actuels pour concilier représentation physique réaliste et temps de calcul raisonnables.
Parmi les modèles de prédiction de l’évolution microstructurale rapportés dans la littérature, trois approches représentatives sont actuellement implémentées dans la suite logicielle de Transvalor. Le premier modèle, connu sous le nom de « JMAK » (Johnson-Mehl-Avrami-Kolmogorov), intégré dans FORGE®, repose sur une approche phénoménologique4. La cinétique globale de recristallisation peut généralement être décrite par la célèbre relation JMAK. Dans ce modèle empirique, la fraction de matériau recristallisé, notée X, évolue selon la relation suivante :
où b et n sont les coefficients d’Avrami, dont les valeurs dépendent des vitesses de croissance et de nucléation. Ce modèle permet de décrire globalement la nucléation, la croissance et l’interpénétration des grains en expansion (voir Figure 1). La courbe résultante présente la forme sigmoïdale typique prédite par l’équation d’Avrami.
Figure 1: Courbe sigmoïdale représentative de la recristallisation obtenue sous conditions isothermes, conforme à l’équation d’Avrami5.
Le calcul JMAK s’effectue en chaque point d’intégration du maillage pendant la simulation FORGE® sans entraîner de surcoût notable en temps de calcul. Bien que pratique, ce modèle reste limité car il échoue à être prédictif dès que les conditions s’écartent des hypothèses, fortes, du modèle6,7(conditions non-isothermes, faible nombre de noyaux, nucléation hétérogène, vitesse de croissance non-constante, …). Ces facteurs peuvent entraîner des imprécisions importantes dans certains scénarios expérimentaux.
Pour obtenir une description fidèle des phénomènes métallurgiques, d’autres approches, plus physiques, sont disponibles dont en particulier les modèles en champ complet, tels celui utilisé dans DIGIMU® qui repose sur la méthode Level-Set et un formalisme éléments finis afin de prédire avec précision l’évolution microstructurale8. Dans DIGIMU®, la microstructure est représentée de manière explicite à l’aide d’un maillage reproduisant fidèlement les formes des grains et leurs véritables voisins. Les hétérogénéités du matériau sont ainsi capturées avec précision tout en préservant leurs caractéristiques topologiques. Les conditions aux limites appliquées à l’élément de volume représentatif (RVE) reflètent le chargement thermomécanique subi par un point matériel à l’échelle macroscopique. Le logiciel simule les principaux mécanismes physiques intervenant lors des procédés de mise en forme et de traitement thermique des métaux, notamment la recristallisation, la croissance des grains et l’ancrage des joints de grains par des particules de seconde phase9,10. Bien que DIGIMU® fournisse des résultats plus complets tout au long du processus de déformation, la simulation sur un point matériel unique dont l’histoire thermomécanique a été capturée par un capteur peut nécessiter, selon la densité de la microstructure, de quelques heures à plusieurs dizaines d’heures.
Un compromis intéressant réside dans l’utilisation d’un modèle en champ moyen, conciliant précision physique et efficacité computationnelle. Le solveur en champ moyen que propose Transvalor a été développée par l’équipe de recherche MSR du CEMEF (Centre de Mise en Forme des Matériaux, Mines ParisTech). Il repose sur une approche originale, appelée NHM (NeighbourHood Model), basée sur des classes de grains. Contrairement aux modèles en champ moyen classiques qui supposent un milieu équivalent homogène, NHM tient compte du voisinage statistique de chaque grain et autorise les grains à évoluer de formes sphériques à ellipsoïdales. Cette approche rend compte de manière plus précise des variations de la surface des joints de grains pendant la déformation. Un avantage majeur de NHM réside dans le fait qu’il s’appuie sur les mêmes équations constitutives que les modèles en champ complet, comme DIGIMU®, ce qui autorise la comparaison et la validation directes entre les deux méthodes. Cela permet aussi d’utiliser NHM pour réaliser des analyses inverses afin d’identifier les paramètres du modèle, le rendant à la fois physiquement pertinent et computationnellement efficace11.
Dans ce modèle, Maire et al.11 ont adopté une représentation statistique simplifiée de la microstructure pour modéliser les phénomènes de restauration et de recristallisation lors des procédés de formage à chaud. Ils ont représenté la microstructure par des classes de grains sphériques, chaque classe étant entourée d’un certain nombre de grains d’autres classes constituant son voisinage. Chaque classe de grains est décrite par trois variables d’état : le rayon Ri de la classe i, la fréquence ηi des grains appartenant à cette classe, et la densité de dislocations ρi.
L’évolution de la microstructure dans ce modèle est représentée par des échanges volumétriques basés sur l’équation de migration des joints de grains :
où Sc(i,j) représente la surface de contact entre la classe i et la classe j, comme illustré à la Figure 2, et correspond au produit de la probabilité de contact p(i,j) par la « surface restante » de la classe de grains SRi. Le terme dR(i,j) désigne la variation de rayon résultant de la migration des joints de grains, prenant en compte à la fois la pression capillaire et la pression motrice liée à l’énergie stockée. Pour plus de détails sur le modèle NHM, il est possible de se référer aux travaux de thèse de M. Roth12.
Figure 2: Représentation en 3D de la microstructure selon le modèle de Maire, telle qu’illustrée dans les travaux de Roth 12.
Ce modèle performant est couplé à FORGE® depuis sa version NxT 3.0, grâce à un nouvel outil appelé DynamiX doté d’une interface ergonomique facilitant son utilisation. Cet outil permet de visualiser l’évolution microstructurale sur une coupe donnée d’une pièce, à un instant donné du procédé, en couplant automatiquement un solveur en champ moyen avec des capteurs de FORGE®. Pour générer ces visualisations, l’utilisation d’un post processeur métallurgique est nécessaire : l’utilisateur peut soit connecter un solveur externe soit utiliser le solveur en champ moyen NHM (accessible via une licence DIGIMU®). Cette conception offre un outil flexible et orienté utilisateur, assurant le lien micro-macro entre la modélisation du procédé et celle de la microstructure.
Une fois une simulation FORGE® terminée, l’utilisateur peut en effet utiliser DynamiX afin de post-traiter, sur un plan de coupe qu’il aura défini, la microstructure de la pièce (voir Figure 3(a)). La première étape consiste à définir, depuis l’interface graphique de DynamiX, la position du plan de coupe dans la pièce ainsi que la densité de la grille de capteurs utilisés pour paver la microstructure (voir Figure 3(b)). La microstructure initiale peut alors être définie à partir d’une distribution de taille de grains, généralement représentée sous forme d’histogramme. Le matériau étant pour sa part caractérisé par un ensemble de paramètres gouvernant sa réponse, tels que la constante d’écrouissage (K₁), la constante de restauration dynamique (K₂), l’énergie de ligne de dislocation (τ), etc. (voir Figure 3(c)).
Figure 3: (a) Interface utilisateur de DynamiX dans FORGE®, (b) définition du plan de coupe (via la donnée d’un point et d’un vecteur normal) et de la densité de la grille de capteurs, (c) la microstructure initiale est définie par une distribution de tailles de grains tandis que le matériau est caractérisé par un ensemble de paramètres.
L’évolution de la microstructure est alors calculée pour chaque point tout au long de son histoire thermomécanique. Les propriétés microstructurales finales obtenues sont ensuite visualisées sous forme de cartes de contours sur le plan de coupe sélectionné, comme illustré à la Figure 4, qui présente un résultat représentatif obtenu dans des conditions situées dans le domaine de validité du modèle JMAK. Avec un minimum d’interventions de l’utilisateur, ces résultats interpolés peuvent être visualisés en quelques minutes sur l’ensemble du plan de coupe de la pièce, offrant ainsi une représentation complète de la microstructure en coupe de la pièce. Cette méthodologie constitue une avancée significative par rapport aux modèles classiques basés sur JMAK, en particulier pour les séquences de mise en forme complexes et multi-étapes, grâce à l’exploitation de modèles à champs moyens bien plus prédictifs et combiné avec une résolution spatiale accrue.
Figure 4: Résultats microstructuraux (gauche : fraction recristallisée, droite : diamètre moyen des grains) interpolés à partir des capteurs sur le plan de coupe à l’aide de DynamiX (en haut) et du modèle JMAK intégré dans FORGE® (en bas).
Le couplage de DynamiX avec NHM (ou avec un autre modèle à champ moyen) peut donc être considéré comme un outil performant établissant un équilibre efficace entre précision et coût computationnel. Néanmoins, lorsque l’objectif est de résoudre les hétérogénéités à fine échelle et d’obtenir une représentation la plus précise possible de la microstructure en évolution, les approches en champ complet, type DIGIMU®, demeurent indispensables, en complément de l’efficacité intermédiaire offerte par le champ moyen.
L’une des principales différences entre les deux approches réside dans le traitement des surfaces idéalisées. Dans NHM, ces surfaces sont plus petites que dans DIGIMU®, le facteur géométrique étant fixé à π/2. Bien que les deux solutions reposent sur des modèles comparables en termes de paramètres et de valeurs, plusieurs différences existent, notamment concernant la mobilité M0, le paramètre de nucléation Kg et le traitement de l’ancrage de Smith–Zener. Dans DIGIMU®, un grain est représenté avec des courbures locales et un voisinage explicite, tandis que dans NHM, chaque classe est décrite par une courbure moyenne et est intégrée dans un voisinage statistique global, comme illustré à la Figure 5. Pour compenser cette simplification, la mobilité dans NHM est corrigée par un facteur de 1,5. De même, le taux de nucléation est ajusté par un facteur de 2,5, garantissant que NHM génère moins de noyaux que DIGIMU®.
Figure 5: (a) Représentation d’un grain avec des courbures locales et un voisinage explicite dans une simulation DIGIMU®, comparée à (b) la moyenne des courbures et le voisinage statistique dans NHM.
À titre d’illustration comparative, une première série de simulations a été réalisée avec NHM et DIGIMU® pour étudier la croissance des grains et la recristallisation dynamique (DRX) dans l’Inconel 718, en considérant avec ou sans la présence de particules de seconde phase (SPP). La première série de simulations, portant sur la croissance des grains sans SPP à différentes températures, a été effectuée pour valider les corrections appliquées aux paramètres du NHM, notamment l’ajustement de la mobilité. Les résultats, illustrés à la Figure 6, montrent un accord satisfaisant, le facteur de correction de la mobilité de 1,5 semblant approprié, bien qu’un léger raffinement puisse être obtenu en augmentant légèrement ce facteur.
Figure 6: Comparaison des résultats de taille de grains lors de la croissance des grains, obtenus avec NHM (courbes rouges) et DIGIMU® (courbes vertes) à différentes températures.
Une seconde série de simulations s’est ensuite concentrée sur la DRX sans SPP à 980 °C, 1050 °C et 1120 °C, avec des taux de déformation de 0,001 s-1, 0,01 s-1, 0,1 s-1 et 1 s-1, comme illustré à la Figure 7. À 980 °C, les résultats obtenus avec NHM et DIGIMU® sont globalement cohérents, sauf pour le taux de déformation le plus faible (0,001 s-1). Une tendance similaire est observée à 1050 °C, tandis qu’à 1120 °C des divergences apparaissaient pour 0,001 s-1 et 0,01 s-1. Dans l’ensemble, pour des taux de déformation modérés à élevés, les prédictions en champ moyen montrent un bon accord avec les simulations en champ complet. Cependant, à faibles valeurs de Zener-Hollomon (correspondant à une déformation lente et des températures élevées), les résultats tendent à diverger en raison du nombre limité de classes microstructurales. Pour pallier cette limitation, un algorithme automatique d’« adaptation dynamique des classes » est actuellement en développement. Cet algorithme permettra d’affiner ou d’élargir les classes dynamiquement tout au long de la simulation et ainsi améliorer la précision du modèle sur l’ensemble du domaine thermomécanique.
Figure 7: Recristallisation dynamique (DRX) à 980 °C, 1050 °C et 1120 °C sous des taux de déformation de 0,001 à 1 s-1, sans SPP, comparant les résultats de taille de grains obtenus avec NHM (courbes rouges) et DIGIMU® (courbes vertes).
Une troisième série de simulations a été réalisée afin d’étudier la DRX partielle suivie de recristallisation post-dynamique (PDRX) à 980 °C, avec présence de particules de seconde phase (SPP) dans la microstructure, comparant NHM et DIGIMU® pour des populations de précipités identiques, de diamètre 0,6 µm et de fraction 0,5 %. Pendant les 12 premières secondes de DRX à 0,1 s-1, ainsi que durant les premières secondes de PDRX, aucun effet significatif des SPP n’est observable. Cependant, une fois que 100 % de la fraction recristallisée est atteinte et que toute l’énergie des grains est consommée, la croissance des grains est clairement ralentie par les SPP, conduisant à un diamètre moyen final inférieur à 20 µm. Des simulations supplémentaires ont ensuite été réalisées en faisant varier la fraction volumique de SPP tout en conservant les mêmes paramètres de procédé. Des effets visibles et cohérents ont été obtenus pour une fraction de 0,5 %, comme illustré à la Figure 8. Bien que les résultats soient qualitativement satisfaisants, un ajustement des paramètres d’ancrage de Smith-Zener pour une fraction donnée de SPP pourrait encore améliorer la précision.
Figure 8: Comparaison des résultats obtenus avec DIGIMU® (courbes vertes) et NHM (courbes rouges) lors de DRX–PDRX à 980 °C pour une fraction de SPP de 0,5 %, en termes de diamètre moyen équivalent : (a) sans SPP et (b) avec SPP, et de fraction recristallisée : (c) sans SPP et (d) avec SPP.
Enfin, la Figure 9 présente une animation comparant l’évolution telle que prédite par NHM et DIGIMU® de la taille des grains lors de la recristallisation dynamique de l’Inconel 718 à 1050 °C. La comparaison met en évidence des différences dans la cinétique de recristallisation et dans l’évolution de la distribution des tailles de grains. Aux premiers instants, DIGIMU® indique environ 12 % de recristallisation après 5 s (taux de déformation de 0,5), tandis que NHM prévoit 25 %, reflétant une recristallisation plus rapide au début avec l’approche en champ moyen. À 10 s (taux de déformation de 1), les fractions recristallisées prédites par les deux approches convergent, bien que la distribution NHM reste légèrement trop concentrée. À 20 s (taux de déformation de 2), les distributions finales de tailles de grains sont globalement similaires, NHM montrant toutefois encore une tendance à se concentrer autour d’une seule valeur, par rapport à DIGIMU® et aux résultats expérimentaux. Cette légère concentration dans NHM résulte du nombre limité de classes de grains lors de la croissance, en particulier en l’absence de SPP. Dans l’ensemble, malgré les différences au début du processus, le comportement de recristallisation prédit par NHM reste raisonnablement cohérent avec la simulation en champ complet et pourrait être amélioré en ajustant les paramètres du modèle.
Figure 9: Évolution de la taille des grains lors de la recristallisation dynamique (DRX) de l’Inconel 718 à 1050 °C telle que prédite par NHM (bleu) et DIGIMU® (violet). Les cartographies représentent la microstructure générée par DIGIMU®, mettant en évidence les prédictions microstructurales détaillées de la simulation en champ complet.
Dans cet article, différents modèles de prédiction de la taille des grains d’un superalliage base nickel Inconel 718 ont été évalués. Le modèle phénoménologique JMAK, bien que pratique, est très limité en raison de sa description simplifiée de la microstructure et par ses hypothèses de constance des vitesses de nucléation et de croissance. Le modèle en champ moyen NHM, couplé à DynamiX, offre des temps de calcul réduits et convient particulièrement aux études à grande échelle. Sa dépendance à des descripteurs macroscopiques et à des lois empiriques impose toutefois certaines limites. Enfin, le modèle en champ complet de DIGIMU® repose sur des lois d’évolution basées sur la physique, offre la description microstructurale la plus précise mais au prix d’un coût de calcul plus élevé.
Les avancées récentes conjointes de DynamiX et de NHM (interface graphique, stabilité améliorée, adaptation automatique des paramètres, etc.) ont étendu les capacités de modélisation, notamment pour l’Inconel 718, dans la plage de forgeage (940–1080 °C) avec ancrage Smith–Zener. Les comparaisons avec DIGIMU® démontrent la faisabilité du transfert de données matérielles entre solveurs et soulignent leur complémentarité. Les modèles en champ moyen et en champ complet représentent donc deux stratégies complémentaires : l’un optimisé pour l’efficacité, l’autre pour la précision physique. Ensemble, ils répondent aux besoins industriels en matière de prédictions microstructurales plus rapides et plus fiables.
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References