Au cours des procédés de mise en forme à chaud et de traitements thermiques, plusieurs phénomènes peuvent entraîner une évolution des tailles de grains dans un matériau métallique. Lorsqu'un métal subit une déformation plastique, des réseaux de dislocations se développent dans les grains et, plusieurs processus activés thermiquement tendent à réduire l'énergie du système. Ces processus incluent la restauration qui annihile et réorganise les dislocations1, la migration des joints de grains induite par les effets capillaires (également appelée croissance des grains), le gradient d'énergie stockée (également connu sous la dénomination migration des joints induite par la déformation), et la recristallisation (lorsque l'énergie stockée favorise la formation de nouveaux grains qui germent principalement aux joints de grains).
Différentes conditions doivent être réunis à l’échelle locale afin qu’un cluster d’atomes puisse évoluer en un germe. Une première concerne la formation, lors du processus de nucléation, d’un joint de grain mobile à grand angle. Une seconde concerne la présence d’un fort gradient d’énergie, stockée au niveau de l’interface, afin de fournir une pression motrice positive suffisante pour contrer les effets de capillarité appliqués sur le germe.
DIGIMU® s'appuie sur un formalisme Eléments Finis – Level-Set (FE-LS)2 pour modéliser l'évolution de la taille des grains à l’échelle d’un polycristal. La cinétique des joints de grains est pilotée par : la mobilité des joints de grains Mb, qui dépend de la température, la pression capillaire dépendant de l'énergie
où
La recristallisation dynamique discontinue (DRX) est modélisée en utilisant une énergie de nucléation critique
Les germes sont créés avec le rayon critique du r* critère « Bailey-Hirsch »5, qui est nécessaire pour compenser les effets capillaires exercés par les grains voisins. Cette condition est approximée par ce critère, tel que :
où
Par ailleurs, le taux de nucléation est calculé selon une variante du modèle de nucléation proportionnelle de « Peczak et Luton »6. À un instant
Bien que ce modèle décrive efficacement la nucléation et la DRX, le fait que pour une température et une vitesse de déformation données, tous les germes apparaissent avec un rayon identique, a révélé certaines limites dans les modélisations en recristallisation post-dynamique (PDRX). Lorsque les noyaux présentent des tailles trop similaires, les effets capillaires entre noyaux voisins se compensent, ralentissant ainsi la croissance des grains. Les micrographies expérimentales révèlent une dispersion des tailles autour de la valeur théorique, liée aux variations locales d'énergie intragranulaire (notons que la plupart de ces micrographies sont en 2D, ce qui signifie que les tailles observées correspondent à des coupes latérales des noyaux.). En intégrant ces dispersions, on préserve une certaine compétition entre les noyaux, ce qui favorise la croissance des grains sous l'effet des forces capillaires7.
Cet article montre que l'intégration d'une dispersion des tailles des germes dans DIGIMU® permet de maintenir cette compétition entre les germes, aboutissant à des évolutions et des distributions des tailles de grains plus réalistes durant la PDRX.
Lors d’une étude menée en collaboration avec la société AUBERT & DUVAL sur un alliage d’Inconel 718, la comparaison à la fin de la DRX/PDRX des distributions des tailles de grains, pour un rayon de germes constant, entre la mesure expérimentale et celle obtenue par DIGIMU® a mis en évidence une faible divergence (cf. Figure 3). Afin de remédier à cette divergence, nous avons considéré une distribution log-normale des tailles de germes autour de la valeur Bailey-Hirsch calculée et nous avons étudié l’impact d’une telle distribution sur la microstructure résultante à la fin d’une DRX/PDRX. Quatre distributions différentes, représentées sur la Figure 1, ont été testées dans nos calculs afin d'identifier celle qui se rapproche le plus des résultats expérimentaux.
Figure 1 : Distributions, log-normales, de taille des germes testées. La valeur 1 sur l'axe des abscisses représente la taille moyenne des germes (calculée avec le critère de Bailey-Hirsch).
En suivant l’évolution de la microstructure pour chacun des cas, à la fin de la DRX et au cours de la PDRX, nous avons comparé le diamètre équivalent moyen (Deq) et la fraction recristallisée (FRX) des grains. Nous avons observé que plus les distributions des tailles de germes sont étalées, plus la taille des grains à la fin de la DRX est grande et plus la fraction recristallisée est faible. Les résultats au début et après 300 s de la PDRX sont résumés dans la Figure 2. Un étalement des valeurs de Deq est observé par rapport au cas avec rayon constant, notamment vers les valeurs supérieures autour de 20 µm. Parmi les différentes distributions, la distribution 4 semble être la plus proche des résultats expérimentaux. Néanmoins, une disparité dans la fraction recristallisée émerge au début de la PDRX, entre la simulation avec une taille de germe constante (100%) et la distribution 4 (73%). Cet effet est indésirable puisque les valeurs de FRX, obtenues avec la taille constante des germes, ont été calibrées par rapport à des études antérieures réalisées sur le même alliage, menant à des résultats satisfaisants.Figure 2: Résultats des simulations obtenues à la fin de la DRX qui marque le début de la PDRX (tPDRX=0), et après une durée de 300 s. Les images colorées montrent les microstructures lors de la PDRX pour les quatre distributions des rayons de germes, et les histogrammes représentent les distributions correspondantes des diamètres équivalents moyens des grains.
Dans le but de rattraper cet écart, nous pouvons ajuster les paramètres
de 15% conduit à la correspondance entre la FRX de la simulation avec la distribution 4 et celle de la simulation avec une taille de germe constante.
Pour valider nos améliorations, le même matériau (Inconel 718 – 10/11 ASTM) a été étudié à nouveau en collaboration avec AUBERT & DUVAL. Ce matériau a subi un préchauffage (1000°C, 15 min) suivi d’une déformation (975°C, 5 min, 0,02 s-1, ε = 1,3), pour être ensuite refroidi à une vitesse de 140°C/min jusqu’à 860°C. L’évolution de la microstructure a ensuite été examinée à la fin de la DRX et pendant la PDRX. Les résultats obtenus pour les différentes simulations en comparaison avec l’expérience sont présentés sur les histogrammes de la Figure 3.
Figure 3: Comparaison à la fin de la DRX/PDRX entre la distribution des tailles de grains (en µm et ASTM) dans un alliage Inconel 718 mesurée expérimentalement (en orange), et celle obtenue par DIGIMU® pour : un rayon de germes constant (en vert) et la distribution 4 avec ajustement des paramètres (en bleu).
Tout d'abord, nous remarquons que le résultat de la simulation sans distribution de la taille des germes révèle des tailles de grains centrées autour de la moyenne, relativement à la distribution expérimentale qui est bien plus plate. En effet, la simulation sans distribution des tailles de germes, donne lieu à un pic à 12 ASTM qui n’est pas présent dans le résultat expérimental. Ceci s’explique par une évolution des tailles des grains dans l’expérience vers les valeurs supérieures (10-9 ASTM).
Par ailleurs, pour les classes inférieures (15-14 ASTM), nous observons des résultats relativement proches de la réalité, bien que le pic à 15 ASTM soit absent dans la distribution expérimentale. Cela peut être expliqué par la caractérisation expérimentale de la microstructure qui ignore les plus petits grains.
En revanche, lorsque nous utilisons la nouvelle fonctionnalité de DIGIMU® permettant d’introduire une distribution des tailles de germes, l'évolution finale de la microstructure montre une distribution assez similaire à l'expérience. En effet, cette distribution après la DRX/PDRX est plus aplatie par rapport à celle qui ne prend pas en compte la distribution des tailles de germes. Ce résultat est issu de la différence de taille des germes créés, qui donne lieu à des courbures différentes, générant ainsi une force motrice qui favorise la compétition entre les germes et influence leur évolution ultérieure.
Notons que l’absence des grains à 9 ASTM, peut être attribuée à une évolution plus lente dans la simulation dû à la non prise pas en compte de l’auto-échauffement. Cela pourrait résulter de plusieurs facteurs, tels qu'une mobilité légèrement réduite, de petites fluctuations de température pendant l'expérience (quelques degrés en dessous de 980°C), ou encore une combinaison de ces deux facteurs.
Pour mieux visualiser les avantages de l'intégration d'une distribution des tailles de germes, nous présentons ci-dessous une animation qui compare l'évolution d'une microstructure avec et sans distribution des tailles de germes. Dans la simulation supérieure, adoptant la distribution 4, l'histogramme révèle une plus grande dispersion des diamètres de grains et un profil plus aplati. Cela est mis en évidence par une distribution hétérogène des tailles de grains observée dans la microstructure finale. En revanche, la simulation inférieure, qui considère une taille de germes constante, montre une taille de grains homogène avec un histogramme centré autour de la valeur de Bailey-Hirsch calculée. Cette comparaison montre clairement que l’intégration d’une distribution des tailles de germes permet d'obtenir des simulations microstructurales plus réalistes.
Figure 4: Animation comparant l'évolution d'une microstructure avec et sans distribution des tailles de germes.
Dans les dernières mises à jour de DIGIMU®, des fonctionnalités intéressantes ont été introduites pour affiner les simulations microstructurales et les rapprocher des résultats expérimentaux. Parmi ces innovations, vous trouverez l'incorporation de la distribution des tailles de germes lors de la nucléation, permettant d’améliorer la prédiction des distributions finales des tailles de grains, tel que démontré dans l’article présent. D’autres nouvelles fonctionnalités seront également disponibles comme l’écrouissage hétérogène ainsi qu’une mise à jour des fichiers de matériaux. Ces outils sont prêts à vous aider à mieux prédire et optimiser les propriétés de vos matériaux.
Améliorez vos simulations et repoussez les limites avec DIGIMU® 5.1 !
References