Une équation générale de la cinétique d'oxydation a été établie. Ce modèle a ensuite été vérifié en comparant les épaisseurs de calamine prévues par le modèle avec celles des couches formées sur des substrats placés dans un tube de quartz, où de l'oxygène sec et purifié était introduit². Cependant, ces conditions d'oxydation sont très éloignées de celles rencontrées dans un environnement industriel, car elles ne peuvent reproduire une atmosphère similaire à celle des fours industriels tels que le four à gaz ou le four électrique.
La croissance de la calamine pendant le traitement thermique est un facteur important influençant la performance et la durabilité des aciers dans de nombreuses applications, notamment dans l'aéronautique. La croissance de cette couche entraîne une perte de matière initialement présente dans la pièce, due à la réaction des ions présents à la surface de l'acier (e.g. les ions de fer) avec l'oxygène de l'atmosphère. De plus, l'oxydation modifie les propriétés mécaniques et thermiques de la surface de la pièce, augmentant ainsi le risque de défaillance structurelle. La présence de calamine influence également les conditions de frottement à l'interface entre la pièce et l'outil de forge lors des étapes de procédés de mise en forme³. Elle affecte aussi les échanges thermiques entre la pièce et son environnement, ou entre la pièce et les outils, impactant par exemple le coefficient de transfert thermique interfacial⁴, l'émissivité⁵, la conductivité thermique⁶ ou encore le coefficient de dilatation thermique. Ces paramètres peuvent varier au sein de la couche d'oxyde selon sa composition.
Du point de vue structurel, la littérature identifie trois constituants principaux de la calamine, organisés en sous-couches distinctes : wüstite (FeO), magnétite (Fe₃O₄) et hématite (Fe₂O₃). Ces proportions varient en fonction de l'atmosphère d'oxydation. La wüstite présente une faible dureté, bien en dessous de celle de Fe₃O₄ et de Fe₂O₃, et est moins stable à haute température car elle réagit facilement avec l’oxygène pour former du Fe2O3 ou du Fe3O4. La magnétite se forme directement à basse température par oxydation du fer, et indirectement à haute température par oxydation de la wüstite. Quant à l'hématite, celle-ci présente une restauration élastique plus élevée que la magnétite et la wüstite. Elle est la plus rigide des trois phases, suivie de la magnétite et de la wüstite. Une comparaison approfondie des propriétés des trois phases est présentée dans les travaux de thèse de V. Claverie7. Cette structure de sous-couche varie selon la nature de l'atmosphère. Les proportions de chaque sous-couche dans la calamine sont quantifiées dans la littérature3,8-11. Bien que l'influence de l'atmosphère oxydante sur la cinétique de croissance des oxydes soit rapportée12-14, les résultats ne permettent pas une comparaison rigoureuse des structures d'oxydes obtenues dans différentes atmosphères oxydantes, en particulier dans des conditions industrielles.
Cela souligne l'importance d'anticiper la croissance des couches d'oxyde dans des conditions industrielles. Cet article explore une collaboration entre notre équipe et LISI AEROSPACE, visant à traduire les résultats expérimentaux en modèles numériques pour prédire la formation et la rupture des couches d'oxyde lors des déformations. Ces modèles sont intégrés à notre solution FORGE® pour des fonctionnalités prometteuses.
Pour mieux comprendre l'impact de l'atmosphère sur la cinétique d'oxydation, l'influence de la température de traitement, de la durée de maintien, de la composition de l'acier et du type de four a été étudiée. Plusieurs nuances d'aciers bas-carbone ont été utilisées : C22, C45, 34CrMo4 et 42CrMo4. Ces échantillons ont subi des traitements thermiques sous différentes conditions, en variant la température et la durée de maintien, et en utilisant un four à gaz industriel brûlant du méthane et un four à résistance électrique. Cette approche nous permet d’étudier l’influence de l’atmosphère oxydante sur la cinétique de croissance de la couche d’oxyde sur les échantillons. En effet, la combustion des bruleurs dans le four à gaz génère du monoxyde de carbone (CO) ainsi que du dioxyde de carbone (CO2) tout en consommant du dioxygène (O2), principal élément participant au mécanisme d’oxydation. Ces gaz se retrouvent donc en quantité supérieure dans le four à gaz en comparaison avec le four électrique. Ils contribuent au mécanisme de croissance des couches d’oxyde, entraînant ainsi des différences potentielles entre les couches d’oxyde formées dans les deux fours.
La rupture de calamine a ensuite été étudiée en capturant à l’aide d’une caméra, la déformation d’un lopin à chaud. Grâce aux méthodes de traitement d’images, combinées à des simulations par éléments finis (FEM) via le logiciel FORGE®, nous avons réussi à corréler l’évènement de rupture avec la déformation mécanique effective ainsi que les vitesses de déformation.
A l’issu du traitement thermique, la couche d’oxyde formée est séparée de l’échantillon par grenaillage. Des fragments ont été caractérisés par microscopie optique, microscopie à balayage et diffraction de rayons-X. Ces caractérisations montrent une structure de sous-couches de wüstite (FeO), magnétite (Fe3O4) et d’hématite (Fe2O3) formée sur les échantillons traités dans les deux types de four. Toutefois, la morphologie ainsi que les proportions des différentes sous-couches, diffèrent selon le four utilisé. Pour le four à gaz, les couches d’oxyde sont constituées de 90% de FeO, complétées par 8% de Fe3O4 et 2% de Fe2O3 à l’interface oxyde/air. Ces résultats sont bien conformes avec ceux de la littérature3,7-10. En revanche, pour le four électrique, les couches d’oxydes sont constituées de moins de 50% de FeO, contre une proportion significative de Fe3O4 (~39% pour 34CrMo4) complétée par une fine sous-couche de Fe2O3 à l’interface oxyde/air (~9% pour 34CrMo4). Bien que la littérature reporte une couche d’oxyde dépourvue de FeO obtenue dans une atmosphère de O2+N2, et une couche d’oxyde formée uniquement de FeO obtenue dans une atmosphère de 100% de CO2 (idem pour 15% CO2 – 85% N2)12, on conclut que le four à gaz favorise principalement la formation de wüstite, et qu’à l’inverse, le four électrique favorise la croissance des autres constituants. Cela peut être expliqué par la faible teneur en oxygène dans l’enceinte du four à gaz, ce qui rend plus difficile la formation d’oxydes plus riches en oxygène tels que la magnétite.
La cinétique d’oxydation a ensuite été évaluée en mesurant la densité de masse de la couche d’oxyde par unité de surface pour chaque échantillon traité. La figure ci-dessous montre les densités de masse mesurées pour les différents échantillons traités dans les deux fours. Globalement, la cinétique de croissance augmente avec la température, et la composition nominale des aciers semble avoir un effet quasiment négligeable sur la cinétique d’oxydation. En se basant sur ces résultats expérimentaux, nous avons ensuite développé un modèle de cinétique d’oxydation permettant de prédire la perte de masse due à l’oxydation. Ce modèle reprend le même formalisme que celui des constantes cinétiques de prédiction de gain de masse, qui reflète le caractère diffusif de la réaction d’oxydation correspondant à un équilibre entre la diffusion des ions de fer et les ions d’oxygène à travers la couche d’oxyde15. Une étape de calibration a ensuite été conduite en se basant sur l’un des cas expérimentaux afin d’obtenir des termes nécessaires pour calibrer la loi cinétique. Cette loi calibrée a ensuite été appliquée sur les cas expérimentaux dans le but de prédire la masse perdue, tel qu’illustré sur la figure ci-dessous. Cette figure montre une cohérence entre le modèle prédictif et les résultats expérimentaux.
Application de la loi cinétique calibrée à des cas expérimentaux pour les deux types de fours. Les lignes pleines et les motifs colorés représentent respectivement le modèle prédictif et les résultats expérimentaux.
Une loi utilisateur de prédiction de la cinétique d’oxydation a ensuite été implémentée dans le store des lois utilisateurs de FORGE®. Des prédictions de pertes de masse satisfaisantes sont obtenues par rapport aux mesures expérimentales (cf. figure ci-dessous), compte-tenu de l’erreur de mesure qui est inconnue et du traitement thermique simplifié considéré dans l’exemple simulé.
Durée | t = 1500 s | t = 2100 s | t = 3000 s |
Δm mesurée | 132 mg.cm-2 | 156.07 mg.cm-2 | 195.35 mg.cm-2 |
Δm prédite | 115.71 mg.cm-2 | 151.65 mg.cm-2 | 193.44 mg.cm-2 |
Comparaison entre les prédictions de FORGE® et les résultats expérimentaux pour la nuance C22 en utilisant des paramètres calibrés.
Notre deuxième objectif a été d’étudier la rupture de la calamine lors de la déformation à chaud et de construire un modèle qui permet d’anticiper l’usure de l’outil. En réalisant plusieurs essais de compression à chaud (à l’aide d’une presse hydraulique), la rupture de la couche d’oxyde a été enregistrée à l’aide d’une caméra à haute précision permettant de capturer les événements de rupture (cf. l’animation ci-dessous). Une méthode combinant l'analyse d'image et l'apprentissage automatique, se basant sur les vidéos capturées, a ensuite été développée pour construire un critère critique qui prend en compte l'expansion de la surface de la billette et la contrainte de cisaillement à l'interface métal/oxyde.
La méthode consista à traiter les images capturées lors de la déformation à chaud afin de suivre la hauteur de l’échantillon en fonction du temps. Cela conduit à un programme expérimental de forgeage qui a été reproduit dans le logiciel de simulation par éléments finis FORGE®, afin d'estimer le taux de déformation et la contrainte à chaque point de la surface de l'échantillon, comme le montre l'animation ci-dessous. Des outils d’IA ont également été développées pour identifier les contours du lopin et estimer les positions de rupture. La position de la rupture a ensuite été reliée à l'état de la déformation locale ainsi qu'à la vitesse de déformation instantanée associée. L'énergie d'adhésion de la couche d'oxyde, dépendante de la vitesse de déformation, de la température et de l'épaisseur de l'échelle, a ensuite été calculée.
Simulation de la rupture de l'oxyde (représentée en gris) lors d'un essai de compression à chaud, obtenue à l'aide du logiciel de simulation FORGE®.
Ces recherches ont permis de concevoir de nouvelles fonctionnalités dans FORGE® pour prédire la densité de la masse d'oxyde et le bilan massique des matériaux perdus tout au long des processus de forgeage à chaud, ainsi que la rupture de la couche d'oxyde aux points de déformation critiques. En abordant de manière proactive les processus d'oxydation, les industriels peuvent prédire la perte de matériau grâce aux simulations et l'intégrer dans la mise au mille, en maintenant ainsi les spécifications dimensionnelles.
References