La microstructure est le lien fondamental entre les paramètres de processus, le comportement et les propriétés finales d’un matériau. La modélisation numérique de l’évolution microstructurale constitue ainsi une brique essentielle pour la prédiction des propriétés finales d’un matériau. Cette approche permet de réduire le temps et les coûts associés au développement de nouveaux matériaux.
Afin de répondre aux exigences croissantes liées aux propriétés des matériaux dans les applications industrielles, la modélisation de la mise en forme des métaux doit être prédictive et efficace. Par conséquent, des concepts microstructuraux, tels que l'évolution de la taille des grains, de la densité des dislocations, ainsi que les transformations de phases solides, doivent être incorporés. L'objectif principal est de modéliser avec précision les principaux mécanismes physiques1 qui se produisent dans les métaux lors des traitements thermomécaniques, tels que les recristallisations dynamique continue (CDRX), discontinue (DDRX) et post-dynamique (PDRX), les transformations de phases solides/solides (SSPT), la croissance des grains (GG), le mûrissement d'Ostwald, etc.
Grâce à DIGIMU®, un logiciel basé sur un framework FE-LS (Eléments finis – Level-Set), les simulations à champ complet des procédés industriels et des traitements thermiques incorporant les mécanismes suivants : GG, DDRX PDRX or SRX, avec ou sans particules de seconde phase (SPP) 2–7, sont rendues possibles.
Dans ce qui suit, nous abordons les développements récents de DIGIMU® qui offrent une compréhension plus approfondie de la physique à l’échelle mésoscopique, permettant de créer des modèles plus sophistiqués pour divers conditions thermomécaniques et types de matériaux. Ces développements ont été réalisés en étroite collaboration avec notre partenaire académique, le centre de mise en forme des matériaux (CEMEF, MINES ParisTech), dans le cadre de la Chaire ToRealIMotion, et supporté par l’ANR – FRANCE (Agence Nationale de la Recherche).
L’ancrage Smith-Zener, i.e. le phénomène de l’ancrage des joints de grains (GB) par les SPP dans la microstructure, est largement utilisée pour contrôler la taille des grains lors de la formation des alliages ou des superalliages. Les outils prédictifs sont essentiels pour modéliser avec précision ce phénomène et optimiser ainsi la taille finale des grains. Dans la version précédente de DIGIMU®, les SPP étaient décrites comme des trous dans la microstructure sans faire d’hypothèses sur leur taille, leur morphologie, les énergies d'interface avec les grains ou leur force d'entraînement. Cette méthode conventionnelle est efficace tant que leur évolution au cours de la simulation n'est pas recherchée8,9. Cependant, les SPP sont soumises à plusieurs mécanismes diffusifs, tels que la précipitation/dissolution ou le mûrissement d'Ostwald. Afin de prendre en compte cette évolution, une première méthode implémentée dans DIGIMU®, s'appuie sur le formalisme LS pour décrire les joints de particules similairement à la description des joints de grains10,11. L'implémentation de cette méthode permet de simuler l'évolution de deux populations distinctes de particules, en la couplant à la croissance des grains, la migration de joints induite par la déformation, la DRX, PDRX ou la SRX. La simplicité d’utilisation, la compatibilité, le temps de calcul et la précision de la méthode ont été optimisés. Les lois d'évolution des particules sont décrites dans un module userroutine, de façon à pouvoir être adaptées ou modifiées afin de correspondre au mieux au comportement du matériau.
L’efficacité de ce module a été démontrée en simulant l'évolution microstructurale d'un superalliage base nickel γ-γ′, soumis à un traitement thermique simple11. La cohérence de la simulation avec les résultats expérimentaux, en ce qui concerne la dissolution de la phase γ', a été démontrée (consultez l'article de De Micheli et al. pour en savoir plus).
Une évolution microstructurale plus avancée a ensuite été simulée, et le résultat est illustré dans l'animation ci-dessous. Lorsque la fraction γ′ actuelle est inférieure à la fraction γ′ d'équilibre, la nucléation des particules se produit proportionnellement à cet écart. Au début du traitement thermique, sous la température de solvus, le matériau est hors équilibre et ne présente pas de précipités. Rapidement, les précipités commencent à croître jusqu'à ce que la fraction d'équilibre de 5% soit atteinte. Le mûrissement d'Ostwald commence alors : la fraction de particules reste constante de 350 s à 1250 s, mais le nombre de particules diminue car les plus petites se dissolvent et les plus grosses grossissent. Au-delà de 1250 s, la température est augmentée progressivement au-dessus du solvus. La fraction de particules à l'équilibre diminue pour atteindre 0, suivie par la fraction et le nombre de particules effectives. Finalement, toutes les particules sont dissoutes, les joints de grains sont progressivement libérés de l’ancrage des particules, et une croissance rapide des grains se produit.
Simulation de l’évolution microstructurale d'un superalliage base nickel γ−γ′, accompagnée d’un graphe montrant l'évolution de la fraction de particules et de leur nombre en fonction du temps.
L'approche LS-FE a été largement prise en compte dans le contexte de la DDRX pour les matériaux à faible énergie de faute d'empilement. Dans le cas des matériaux à haute énergie de faute d'empilement, la considération de la formation progressive et de l'évolution des sous-grains devient essentielle. Les dislocations peuvent se réarranger pour former de nouveaux joints de grains à faible angle (LAGB) ou s'accumuler dans des LAGB préexistants. Dans le contexte CDRX, la formation de grains est induite par la réorganisation progressive des dislocations en sous-grains avec une augmentation progressive de l'angle de désorientation entre ces sous-grains12. Grand et al. proposent un cadre LS-FE pour traiter ce mécanisme, en incorporant le modèle Gourdet-Montheillet13–15. Ce cadre conserve la loi d'évolution de la densité globale définie pour la DDRX, tout en tenant compte des mécanismes d'évolution des dislocations suivants : le réarrangement en LAGB qui lie de nouveaux sous-grains, l’empilement dans des LAGB préexistants et l’absorption lors de la migration des joints de grains à grand angle (HAGB).
Sur la base de cette approche, une deuxième méthode a été implémentée dans DIGIMU®, en introduisant un module CDRX à champ complet. Cette méthode a été appliquée au zircaloy-4 (Zy-4). La recristallisation de grains de Zy-4 initialement équiaxes pendant l'extrusion à chaud a été étudiée expérimentalement, identifiée et simulée au Centre de Recherche sur les Composants de Framatome13–15. Une simulation du polycristal avec une déformation à chaud allant jusqu’à 1, à une vitesse de 1 s-1, est illustrée ci-dessous. La comparaison directe de l'évolution simulée des densités de dislocations avec les observations expérimentales montre un accord prometteur.
Microstructures simulées et expérimentales du Zy-4 montrant la distribution de densité de dislocations après 1 s de déformation à chaud à 1 s−1, suivie d'un maintien de 25 s et 100 s à 650 °C.
Pour aller plus loin, nous avons couplé ces caractéristiques. En effet, le Zy-4 peut présenter des précipités dans certaines conditions, avec une température de solvus proche de celle du traitement thermique. Nous avons donc simulé la microstructure en tenant compte de l’effet des précipités durant une phase de PDRX de 200 s, comme illustré sur l'animation ci-dessous. Nous constatons alors que la migration de joints est légèrement modifiée par la présence de précipités, avec une sorte d’ancrage. Cependant, ce dernier n'est toujours pas suffisant pour bloquer effectivement les joints et la recristallisation. Des simulations supplémentaires montrent qu'avec une population plus dense de précipités, l'effet d’ancrage est plus prononcé. Dans une deuxième variante, nous avons augmenté la taille des précipités plutôt que leur nombre. En raison de leur taille plus importante, nous constatons qu'ils ont besoin de plus de temps pour se dissoudre, sans être complètement dissous à la fin de la PDRX..
Microstructure simulée lors de la CDRX couplée à l’évolution de la précipitation.
La simulation à l’échelle du polycristal est désormais reconnue comme un outil puissant pour comprendre et prédire l'évolution de la microstructure dans la fabrication industrielle. Dans ce contexte, DIGIMU® 5.0 poursuit son évolution et intègre récemment deux avancées majeures, étendant sa capacité à traiter une plus large diversité de matériaux et de chemins thermiques. Deux nouvelles méthodes sont ainsi intégrées dans des modules de routine et peuvent être adaptées ou modifiées en fonction du matériau. Les futures versions de DIGIMU® introduiront des fonctionnalités encore plus avancées pour affiner la modélisation de la microstructure dans une gamme plus large de matériaux. Ces améliorations visent à fournir une précision inédite et à étendre les capacités du logiciel pour relever divers défis industriels.
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References