Introduction
Dans de nombreux secteurs industriels, la longévité, la résistance à l’usure et la stabilité dimensionnelle des composants mécaniques sont essentielles, en particulier lorsque ces composants sont soumis à des charges cycliques. Pour atteindre ces objectifs, divers traitements de durcissement de surface ont été développés. Comme la couche superficielle d’une pièce influence fortement sa durée de vie en service, l’objectif est d’améliorer ses propriétés fonctionnelles afin de les différencier de celles du cœur. Dans ce cadre, le traitement thermochimique joue un rôle déterminant en utilisant la diffusion thermique pour incorporer des éléments chimiques à la surface du matériau, modifiant ainsi ses propriétés et sa microstructure.
La nitruration est un traitement thermochimique bien établi dont l’utilisation industrielle a débuté dans les années 19501. Elle consiste à diffuser des atomes d’azote dans la surface d’un matériau, créant ainsi une couche dure tout en maintenant la ductilité du cœur. La nitruration gazeuse est réalisée à des températures modérées, généralement comprises entre 500 °C et 600 °C, et utilise couramment l’ammoniac comme source d’azote, bien que des méthodes par bain de sels ou par plasma soient également possibles2. Les aciers contenant des éléments tels que le chrome, l’aluminium et le molybdène se prêtent particulièrement bien à la nitruration, car ils forment des nitrures durs et stables avec l’azote diffusé. Contrairement aux techniques de cémentation, la nitruration ne nécessite pas de trempe, ce qui réduit considérablement le risque de distorsion ou de fissuration3.
Ce traitement thermochimique présente de nombreux avantages, notamment une grande dureté de surface, une résistance accrue à l’usure et à la fatigue, une distorsion dimensionnelle minimale et une excellente stabilité thermique de la couche durcie4. Les couches nitrurées conservent leur dureté à des températures où les couches cémentées commenceraient à s’adoucir, ce qui rend cette méthode idéale pour les composants soumis à des contraintes mécaniques et thermiques. Parmi les pièces couramment traitées figurent les engrenages4,5, les vilebrequins6, les matrices7 et les outils.
Lors de la nitruration, l’azote s’accumule localement dans la matrice de l’acier. Lorsque sa limite de solubilité dans la ferrite ou dans les éléments d’alliage est dépassée, des précipités de nitrures se forment et se développent8. Cela conduit à la consommation d’une fraction de l’azote au cours de la précipitation, tandis que le reste continue à diffuser vers l’intérieur jusqu’à l’atteinte de l’équilibre thermodynamique. Parallèlement, les déformations plastiques locales augmentent la densité de dislocations, ce qui offre des voies de diffusion plus rapides et nécessite des ajustements du coefficient de diffusion8. De plus, les joints de grains jouent le rôle d’irrégularités naturelles de diffusion et accueillent fréquemment des précipités de nitrures ou de carbures. Il est important de noter que lors de la nitruration, la diffusion du carbone doit être prise en compte parallèlement à celle de l’azote, même en l’absence d’apport externe de carbone, car la rétro-diffusion du carbone peut influencer l’évolution microstructurale et, par conséquent, les propriétés de surface9.
Ces processus physiques interdépendants et ces phénomènes de diffusion couplée augmentent la complexité du transport des éléments chimiques dans les aciers alliés. Par conséquent, une modélisation précise de la diffusion de l’azote et du carbone, ainsi qu’un contrôle des gradients de composition, sont essentiels pour atteindre la dureté souhaitée et optimiser le résultat global du processus de nitruration.
Dans cet article, nous démontrons la capacité du logiciel de simulation par éléments finis FORGE® à prédire les profils de diffusion des éléments chimiques en intégrant les données d’équilibre thermodynamique dans la modélisation afin de tenir compte des processus de précipitation.
Modélisation du processus de nitruration de l’acier 32CDV13
En collaboration avec SAFRAN, nous avons étudié le procédé de nitruration d’une pièce cylindrique en acier 32CDV13 comportant un trou de perçage. Le 32CDV13 est un acier faiblement allié à haute performance, largement utilisé dans l’industrie aéronautique pour des composants mécaniquement exigeants tels que les transmissions d’hélicoptère et les entraînements d’accessoires de moteurs de turbine. Il est apprécié pour sa haute résistance à la fatigue, sa résistance thermique et sa stabilité dimensionnelle. À l’état non traité, cet acier présente une bonne usinabilité. Après nitruration, il développe une couche de surface dure avec des valeurs de dureté superficielle dépassant 1000 HV. Cela améliore considérablement la résistance à l’usure et à la fatigue tout en préservant la ductilité du cœur.
L’objectif de cette étude est d’analyser la diffusion de l’azote et du carbone dans le 32CDV13 afin de prédire les profils de concentration obtenus après nitruration. Ces prédictions servent de base pour ajuster les paramètres du traitement afin d’atteindre les caractéristiques de surface souhaitées.
La nitruration implique plusieurs paramètres clés qui doivent être soigneusement contrôlés pour obtenir les propriétés de surface souhaitées. Parmi ceux-ci figurent la température, qui influence les vitesses de diffusion, le temps, qui détermine la profondeur de couche, et, dans le cas de la nitruration gazeuse, le potentiel de nitruration lié au taux de dissociation de l’ammoniac. Ces facteurs conditionnent la formation d’une couche composée (généralement de 10 à 20 µm d’épaisseur, constituée de ε-Fe₂₋₃N et de γ′-Fe₄N) et d’une zone de diffusion, pouvant atteindre des profondeurs allant jusqu’à 1 mm8.
Pour contrôler efficacement ces paramètres, le logiciel de simulation par éléments finis FORGE® propose un module de diffusion chimique, permettant de modéliser la diffusion de l’azote et du carbone pendant le procédé. L’évolution dans le temps de la concentration massique en pourcentage (ou en fraction), d’un élément chimique C, dans un matériau de diffusivité D, est exprimée par l’équation de diffusion suivante :
La diffusivité d’un élément chimique dans un matériau est difficile à prédire. Elle peut varier de manière significative en fonction de la température, de la nature et de la structure du matériau, ou encore de la concentration de l’élément chimique dans le matériau lui-même.
Trois types de conditions aux limites peuvent être définis. La première, correspondant à un échange parfait entre l’atmosphère et la pièce, consiste à imposer directement le potentiel chimique à la surface de la pièce (condition aux limites de Dirichlet). Le potentiel d’un élément chimique pour un couple métal-atmosphère est défini comme la concentration de l’élément chimique qui serait atteinte dans le métal s’il était immergé indéfiniment dans l’atmosphère considérée.
Le second type, plus réaliste, correspond à un coefficient de transfert entre l’atmosphère et la pièce, dû à des réactions chimiques parasites à la surface de la pièce ou à un effet de couche limite causé par un mauvais brassage dans le four. Le modèle d’échange est défini en spécifiant le potentiel chimique de l’atmosphère sous forme de pourcentage massique, ainsi qu’un coefficient d’échange alpha. Un flux est imposé, proportionnel à la différence entre la concentration en surface de la pièce et le potentiel de l’élément chimique dans l’atmosphère.
Le dernier type correspond à un flux imposé, correspondant à une condition aux limites de Neumann, où un flux spécifique de l’espèce chimique est appliqué à l’interface.
Un cycle typique de nitruration se compose de trois étapes principales, comme illustré à la Figure 1, à savoir une phase de chauffage, une phase de diffusion pendant laquelle la pièce est exposée à une atmosphère contenant de l’azote, et enfin une phase de refroidissement au cours de laquelle la pièce est refroidie de manière contrôlée. Dans notre modèle, nous introduisons une simplification en découplant la réponse mécanique de la diffusion de l’azote. Cette approche considère l’évolution des contraintes comme une étape de post-traitement séparée, plutôt que de la modéliser simultanément avec la diffusion de l’azote. Cette stratégie permet de réduire les coûts de calcul et la complexité, mais ne reflète pas la réalité physique du procédé, dans lequel le développement des contraintes survient simultanément à l’absorption d’azote en raison de l’expansion du réseau cristallin, de la formation de phases et des gradients de concentration.
Alors que dans la nitruration les contraintes résiduelles résultent principalement des phénomènes de précipitation, dans la cémentation, la principale source de contraintes résiduelles et de déformations est associée à la transformation martensitique induite par la trempe. Cette différence conduit généralement à des niveaux de déformation et de contraintes résiduelles plus limités dans les composants nitrurés.
Dans la nitruration, la phase matrice reste ferritique tout au long du traitement en raison des températures de fonctionnement relativement basses, contrairement à la cémentation qui se réalise en phase austénitique à des températures plus élevées. Par conséquent, aucune transformation de phase ne se produit lors de la nitruration et la trempe devient inutile, n’ayant pas d’effet significatif.
La carbonitruration, en revanche, introduit à la fois du carbone et de l’azote et peut impliquer une trempe selon l’application.
Figure 1: Simulation chaînée du cycle de nitruration à l’aide de FORGE®.
Le procédé implique une diffusion simultanée de l’azote et du carbone dans le matériau. Cette diffusion entraîne des transformations de phase nécessitant des calculs thermodynamiques pour être prédites8. À l’aide de JMatPro, nous avons réalisé des calculs d’équilibre thermodynamique dans la plage de température de nitruration de 500 °C à 600 °C afin de déterminer le comportement de précipitation de divers nitrures (voir Figure 2). Bien que l’équilibre thermodynamique réel soit rarement atteint pendant le traitement, ces calculs fournissent des informations précieuses sur la nature des phases susceptibles de se former.
Lors de la nitruration de l’acier 32CDV13, la microstructure est principalement composée de ferrite (α-Fe), qui sert de milieu de diffusion pour l’azote interstitiel. À mesure que l’azote pénètre dans la matrice ferritique, il réagit avec des éléments formant des nitrures stables tels que le chrome, le vanadium et le molybdène pour former des nitrures stables. Les carbures initialement présents, en particulier les carbures de type M23C6, ont tendance à se dissoudre en raison de la stabilité thermodynamique plus élevée des nitrures, conduisant à la précipitation des nitrures correspondants et à la libération de carbone dans la région sous-jacente. Cela entraîne un enrichissement local en carbone sous la couche nitrurée, phénomène couramment observé dans les aciers faiblement alliés nitrurés8,12,13.
Figure 2: Calculs JMatPro de (a) la fraction de précipités et (b) l’évolution des carbures M23C6, en fonction de la teneur en azote à 550 °C, avec une teneur en carbone fixe.
À partir de l’équilibre thermodynamique, nous pouvons ensuite calculer l’expansion volumique liée au taux de précipitation. Ces résultats ont été intégrés dans notre modèle de diffusion des éléments chimiques afin de simuler les profils de nitrure et de carbone au cours d’un processus de nitruration de 120 h à 550 °C, en tenant compte des phénomènes de précipitation dans le matériau. Les résultats obtenus sont illustrés à la Figure 3, ainsi que les profils expérimentaux mesurés par IRT-M2P13. Une bonne tendance est observée entre les profils simulés et expérimentaux pour l’azote comme pour le carbone. Néanmoins, un léger décalage des profils simulés vers la surface du matériau peut être noté par rapport aux profils expérimentaux. Une solution possible pour corriger ce décalage serait d’affiner les données des coefficients de diffusion des deux éléments.
L’augmentation de la teneur en carbone sous la couche nitrurée est également constatée et s’explique par la précipitation de nitrures au détriment des carbures préexistants lorsque la solubilité de l’azote dans la ferrite est dépassée au cours du traitement.
Figure 3: Profils d’azote et de carbone en fonction de la profondeur, simulés à l’aide de FORGE® en tenant compte des précipitations, en comparaison avec les mesures expérimentales.
Conclusion
Cette étude présente une approche de simulation permettant de modéliser la diffusion de l’azote et du carbone lors de la nitruration en intégrant des calculs thermodynamiques. Cela permet de prendre en compte les effets de la formation et de la dissolution des précipités sur les mécanismes de diffusion des éléments chimiques, influençant directement l’évolution des profils de diffusion. À partir de la version 5.0, la modélisation de la diffusion dans FORGE® inclura l’option précipitation, permettant un contrôle précis et une optimisation des paramètres de nitruration. Cela améliore non seulement la fiabilité et la reproductibilité des traitements thermochimiques en milieu industriel, mais contribue également à une meilleure qualité de surface, à une durée de vie prolongée des composants et à une réduction significative des coûts de production et des temps de traitement.Références
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